Le lycée Pasteur, inauguré le 18 octobre 1923, l’année même où l’on célébrait le centenaire de Louis Pasteur, n’a pas encore un long passé. Il présente cependant, pour l’historien, l’originalité d’être entré dès sa naissance dans l’histoire, et même dans la grande histoire. Ses bâtiments, tout neufs, attendaient les premiers élèves pour la rentrée d’octobre 1914, mais dès le début de la guerre, la réquisition militaire intervint : elle mit l’édifice entier à la disposition de l’ambulance américaine, formée spontanément par la charité, alimentée par la générosité des Américains de Paris. Ceux-ci installèrent deux cents lits tout de suite, puis, peu à peu, six cents ; plus de douze mille blessés précédèrent les lycéens dans nos salles de classe.
Le futur lycée s’adapta parfaitement à ce rôle inattendu ; c’est à bon endroit que l’abbé Félix Klein, aumônier de l’ambulance et son historien, a écrit que, depuis son nom jusqu’à ses dispositions intérieures, « on le croirait destiné aux victimes de la guerre ». Dans le hall d’entrée, deux inscriptions gravées dans le marbre, l’une en français et l’autre en anglais, rappellent le souvenir de ces souffrances et de ce dévouement.
Si l’on veut remonter aux plus lointaines origines du lycée, il est indispensable d’évoquer le château de Neuilly et son très grand parc ; celui-ci s’étendait au nord du territoire de l’actuelle commune de Neuilly, de la Seine — île de la Grande Jatte incluse — jusqu’à la zone des fortifications. Retenons simplement de la très calme histoire de ce beau domaine, qu’il appartint par intermittence, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à de grands serviteurs de la branche cadette de la maison de France, les Orléans, et que Napoléon en fit don à sa sœur Pauline, en 1808.
En 1819, le futur Louis-Philippe, alors duc d’Orléans, acquit par voie d’échange le château qu’avaient occupé jadis un garde des Sceaux et un chancelier de sa maison. Il en fit le Versailles de la nouvelle dynastie, un Versailles confortable mais discret, comme il convient à un roi-bourgeois. Le château, avec ses bâtiments longs et bas, gardait beaucoup de mesure dans la richesse ; quant au parc, traité pour sa plus grande partie en futaie, il échappait aux curiosités populaires grâce à un mur élevé et continu.
Cette haute et brusque fortune fut, au bout du compte, fatale au domaine qui paya pour ses maîtres ! La révolution de 1848 détruisit le château et l’Empire le parc. Le 25 février, des bandes d’émeutiers venues de Paris pillèrent les caves, et au cours des beuveries, un incendie éclata… Par décret du 22 janvier 1852, le prince-président, sans attendre de devenir Napoléon III, enleva Neuilly aux Orléans ; un décret du 27 mars suivant livra le parc aux lotisseurs.
Sur les terrains du futur lycée, un quartier composite s’est bâti. Rue Borghèse, un peintre occupait un atelier qui n’était qu’une baraque. Il avait pour voisine une demoiselle Valloton, originaire de Saint-Sauveur-le-Vicomte, qui dans les années 1880, avait souvent reçu son compatriote, le connétable Barbey d’Aurevilly. Sur le boulevard d’Inkermann donnaient des cultures d’un maraîcher et horticulteur. Au coin de la rue Perronet, une médiocre bâtisse abritait : un maréchal-ferrant, un « bougnat », un marchand de vin, le sieur Baufre qui offrait à ses clients les joies du jeu de boules. Plus loin dans la même rue, un loueur de voitures, l’entreprise Deridet, allongeait ses remises et ses écuries jusqu’à l’emplacement du pavillon central de notre lycée. En somme, sur un visage avenant des verrues avaient poussé en dépit des servitudes… C’est peut-être à ce mélange de bicoques, de guinguettes, d’artistes et de gagne-petit, que l’on doit le souvenir, chez certains vieux Neuillistes, d’un « petit Montmartre »…
Dans l’ensemble, le quartier restait reculé et champêtre : on s’y réveillait au chant des coqs, on attachait les chevaux aux arbres des boulevards, les Parisiens venaient y respirer le « bon air ». Dans ma jeunesse, j’ai connu un professeur en Sorbonne, philosophe très estimé, qui, dès la fin des cours, entassait famille et malles dans un fiacre ; puis, en deux heures de petit trot, il gagnait les bois et les champs, c’est-à-dire le boulevard d’Argenson, pour y passer l’été.
La première séance du conseil municipal où l’on discuta d’un lycée date du 10 novembre 1893, le général Henrion-Berthier étant maire et M. Magès, rapporteur. En réalité, la question était dans l’air, et, comme dira plus tard le Dr Monin, « depuis longtemps, elle hantait les cerveaux des pères de famille ». La population ne cessait d’augmenter : 1 560 en 1801, 16 500 en 1875, plus de 30 000 en 1891. Les lycées les plus proches étaient alors Condorcet que l’on atteignait « par le chemin de fer » et Janson-de-Sailly, peu accessible lui aussi, et déjà surpeuplé. Neuilly avait donc vu se multiplier d’aimables maisons de repos dénommées « cours, pensions, institutions », ou encore ces cliniques spécialisées dans le traitement du baccalauréat considéré comme maladie. Ces établissements ne voyaient aucune nécessité dans la construction d’un lycée. C’est à leurs managers peut-être que pensait le général Henrion-Berthier, quand il disait, à la veille des élections municipales de 1894 : « Le lycée ? On veut m’empêcher de le faire, mais on ne m’en fera pas démordre ; quels que soient les obstacles, je le ferai quand même ».
Le projet de 1893 mérite mention car il était fort bien étudié, si bien que, dans ses grandes lignes, il ne variera guère jusqu’à l’achèvement.
On prévoyait 800 élèves, dont 250 à 270 demi-pensionnaires, disposition qui, en attirant la clientèle des communes limitrophes et celle du XVIIe, devait intéresser le département à l’affaire et obtenir son appui financier. On estimait les frais à 2 400 000 francs, dont 400 000 espérés du département et 1 000 000 de l’État. Resterait 1 000 000 à la charge de la ville dont la situation financière, plutôt prospère, justifiait la dépense. Signalons l’originalité du plan pour l’enseignement : le rapporteur insistait pour que l’enseignement moderne fût prévu, alors qu’ il était encore discuté. Ensuite, il envisageait des cours qu’il appelait « mixtes », destinés, dans son esprit, aux jeunes étrangers nombreux dans l’ouest de Paris et qui « cherchent l’assimilation française ». Le projet fut voté ; en 1894, le département le soutint d’une subvention de principe de 300 000 francs. Mais l’État resta sourd à tout appel. Le général Henrion-Berthier mourut en 1901 sans avoir pu réaliser « son » idée ; et les pères de famille qui croyaient travailler pour leurs enfants travaillaient en réalité pour leurs petits-enfants.
Aux élections de 1908, tous les partis inscrivirent dans leur programme la construction d’un lycée. Le nouveau maire, Édouard Nortier, reprit donc les démarches avec une autorité plus grande et leur résultat ne se fit plus attendre : le 28 juillet, Gaston Doumergue, ministre de l’Instruction publique, informait la municipalité qu’il attendait « les propositions, plans et devis… arrêtés d’un commun accord entre la ville et son département » ; la part de l’État serait de 50 p. 100. On croyait encore, à ce moment, que le coût de l’entreprise ne dépasserait pas trois millions. Un seul point noir subsistait du côté du conseil général que l’on sentait mal disposé pour une commune « riche » comme Neuilly…
En février 1909, la grande propriété, — 17 500 m2 —, des dames augustines anglaises passa en vente. La ville ne se porta pas sur les rangs des acquéreurs et cette réserve suscita des critiques. Il semble que le temps ait manqué. Aussi, pour presser les événements, la commission présenta-t-elle un avant-projet qui fut voté, comme toujours, à l’unanimité : création d’une commission d’acquisition des terrains, et concours public pour les plans d’un lycée de 800 externes et demi-pensionnaires. Le choix de cette commission se porta sur le quadrilatère que nous connaissons bien, 12 483 m2, « dans un quartier largement aéré, central, éloigné de toute usine ou atelier ».
Un représentant de la ville acheta les trois premiers lots, le 27 avril, devant la chambre des notaires de Paris, 2.819 m2 au total. La municipalité s’engageait ainsi de manière irrévocable. Elle pouvait, dès lors, demander aux services du ministère le programme détaillé des constructions à prévoir. La réponse du ministère, sous la signature de Gaston Doumergue, nous paraît intéressante car elle a déterminé les traits généraux de l’édifice. L’évaluation des dépenses était calculée d’après celles du lycée Voltaire, que l’on trouvait excessives. On écartait donc l’emploi de la pierre de taille, trop chère, au profit de la brique ; les motifs sculpturaux étaient condamnés pour leur « très grande dépense ». Le résultat serait « moins sévère mais plus gracieux », et, sans vouloir médire de Voltaire, on peut se féliciter de ces décisions.
Le montant du devis des constructions s’élevait à trois millions et celui du mobilier à 300 000 francs. Au total, il fallait engager :
Terrains : 1 500 000 francs ;
Constructions : 3 000 000 francs ;
Mobilier : 300 000 francs ;
4 800 000 francs.
Le 28 juin 1912, le Conseil demanda au ministère d’agréer le choix du nom de Pasteur.
Pour l’établissement des plans, la ville avait vite renoncé au concours public. Le conseil municipal, entraîné par M. Aulanier, retint le nom de Gustave Umbdenstock. La décision est du 10 février : en moins d’un an, tous les plans étaient dressés et remis à la ville. L’architecte avait poussé la conscience jusqu’à donner le dessin de tout le mobilier, — élévation, coupe, assemblage.
Goût du fini, puissance exceptionnelle de travail, voilà bien l’homme de talent et de cœur qu’était Umbdenstock. Né à Colmar en 1866, il a parcouru brillamment la carrière des honneurs : titulaire de dix-sept médailles d’or pendant ses études aux Beaux-Arts, professeur érudit et entraînant à cette École et à Polytechnique, membre de l’Institut enfin. Mieux que cela, il laisse des œuvres de valeur comme les lycées Pasteur et Claude Bernard, les gares de Senlis et de Saint-Quentin, le pont du Carrousel. Sa génération a vu se modifier profondément les techniques de la construction et apparaître le conflit entre l’artiste et l’ingénieur. Umbdenstock n’a pas admis sans résistance les édifices babyloniens et géométriques imposés par l’usage de l’association fer-ciment. Il s’est efforcé de sauver les traditions d’élégance et de légèreté de l’architecture française. Ce thème, sensible dans toute son œuvre, prenait sa source dans un patriotisme intransigeant et véhément, uni à la solidité narquoise de sa province : singulier et attachant mélange de Déroulède et de l’Oncle Hansi ! En 1914, à quarante-huit ans, il s’engagea dans le génie et l’on vit le sapeur Umbdenstock, cisailles en main, entraîner les vagues d’assaut sur les barbelés. La seule douleur, mais aussi la plus grande possible, dans cette existence si pleine, sera de mourir en 1940, à l’heure la plus noire de notre histoire…
Le lycée Pasteur porte la marque de son créateur et de son temps. La parcimonie budgétaire l’a préservé de l’enflure de la pierre de taille et de la sculpture officielle, — mais le règne du béton n’est pas encore installé. Umbdenstock vit tout naturellement dans le matériau à bon marché qu’on lui imposait comme une invite à la gracieuse association de la première Renaissance française : encadrements de pierre, murs de brique, toits d’ardoise. Bien que l’imitation reste libre, le lycée Pasteur n’en est pas moins un parent du Blois de Louis XII, avec son gai visage rose, bleu et blanc, avec ses tours d’angle et ses grands toits à pente rapide. Sous ces dehors traditionnels, le technicien découvre avec une certaine surprise une infrastructure de ciment armé qui ne manque pas d’audace pour son temps. Cette construction à la fois classique et novatrice prendra sans doute, avec les années, la valeur d’un spécimen très réussi dans l’art de construire, à la charnière de deux époques.
La disposition des locaux obéit à une volonté de simplicité et de lumière partout présente. A une époque où les lycéens de France travaillaient trop souvent dans des bâtiments sombres où des murailles lugubres les rejetaient dans le travail comme seule consolation, Umbdenstock a voulu que son lycée fût la maison du libre et du gai savoir. Il est vrai que l’on entend parfois chez les usagers — quelques plaintes sur la lenteur et les difficultés des « mouvements » dans les couloirs et escaliers. Ces critiques reviennent toutes à constater une situation que l’architecte n’avait pas à prévoir : un bâtiment largement calculé pour 800 élèves peut devenir très incommode pour 2 000…
Les travaux avancèrent avec une rapidité qui a de quoi surprendre. La cérémonie de la pose de la première pierre eut lieu le samedi 6 juillet 1912. Édouard Nortier, entouré de ses adjoints et du conseil municipal, reçut le ministre de l’Instruction publique, Guist’hau. À ces hautes personnalités, Umbdenstock, son collaborateur Quisserne, l’entrepreneur du gros œuvre Blazeix donnèrent des explications techniques. Puis le parchemin de rigueur reçut les signatures des assistants.
Dès juillet 1913, la municipalité pouvait déposer les derniers cahiers des charges. On avait renoncé, en cours d’exécution, au ciment pour le sol des classes, au profit de parquets en chêne, plus agréables et plus sains. Le 17 février 1914, on traita pour le revêtement du campanile dont les lignes élancées et les sonneries en accord harmonique donnent une âme au quartier. Sur le cadran de l’horloge. Umbdenstock a fait inscrire : « L’heure française sonnera toujours » et : « Quand l’heure sonne, homme, sois debout ». Quelques mois plus tard, l’heure sonna en effet et Umbdenstock, laissant son lycée presque achevé, courut sur la route des combats qui, pour lui, passa par les Dardanelles et par Verdun.
Évolution des effectifs
1973-1974 : 1557 élèves ;
1978-1979 :1761 élèves ;
1983-1984 :1847 élèves ;
1988-1989 :1927 élèves.
Dès juillet 1914, l’administration et une bonne partie du personnel enseignant étaient désignées : la réquisition mit le nouveau lycée dans la situation d’un cerveau sans corps. La victoire de la Marne, en apportant l’illusion d’une fin prochaine des hostilités, décida le ministère à ouvrir et voir venir…
En vérité, ce fut un étrange lycée, dispersé entre des logis de hasard, à deux pas de sa somptueuse demeure ! On répartit les classes entre plusieurs « pensions » qui connurent ainsi une splendeur inattendue. Il y eut des installations plus pittoresques : dans un vaste grenier comme au temps de la rue du Fouarre, sur le zinc d’un bistrot qui servait de laboratoire aux chimistes, ou encore, — et mieux peut-être —, au premier étage d’un restaurant à prix fixe ; l’enseignement des belles-lettres s’y mélangeait, suivant l’heure, à de fortes odeurs de frichti ou au fracas de la vaisselle dans la « plonge ». Et Mario Roustan, futur grand-maître de l’Université, de s’écrier : « Comment faire pour ne pas tomber dans le latin de cuisine ? ».
On avait aménagé une sorte de P.C. pour l’administration dans un appartement de la rue Angélique-Vérien, bienfaitrice posthume une fois de plus. En dépit de ce point fixe, l’administration mena le plus souvent la vie ambulante de Pandore ou du facteur rural : tel fut le lot de MM. Fleureau, proviseur, Janelle, censeur, Gibert, économe. Leur tâche n’était pas simple et elle fut compliquée encore par le succès de ce lycée prématuré : dès la première année, 600 élèves s’inscrivirent et, en octobre 1915, deuxième rentrée, ils furent 800, nombre que certains avaient jugé jadis « très exagéré ».
Une autre difficulté résultait de la situation mouvante des professeurs, dont beaucoup n’étaient que de passage. Une quinzaine d’entre eux avaient été mobilisés ; pour les remplacer, le ministère avait fait appel à des retraités, à des réfugiés, à des femmes, à un étudiant, à un professeur belge de l’Athénée [royal]. Dans ce coude à coude, chacun avait l’impression d’un combat : le dévouement y était rendu facile par le sentiment de souffrances plus grandes et toutes proches.
Mario Roustan nous a décrit ces aubes et ces crépuscules où s’élevait le ronflement des moteurs d’ambulances stationnées en permanence au rond-point. Quand elles revenaient du train sanitaire, les passants s’arrêtaient et suivaient des yeux avec émotion les « paquets sanglants que l’on portait avec d’infinies précautions sous les voûtes » du lycée. Parmi eux, en juillet 1916, on compta Sainte-Laguë que sa troisième blessure, reçue sous Verdun, conduisait à ce lycée où il était professeur sans y avoir jamais enseigné !
La fin des combats ne rendit pas tout de suite le lycée à sa destination. Après l’usage prolongé de ses locaux, il pouvait, à son tour, être compté comme grand blessé. Les restaurations nécessaires retardèrent le retour de l’Université chez elle jusqu’en octobre 1919. Les frais élevés qu’il fallut consentir à cette occasion donnèrent lieu à un conflit entre la mairie et l’État, qui n’entendait pas assumer de responsabilité ni contribuer aux dépenses de remise en état ! Ce dernier acte de la bataille administrative ne fut pas réglé par Édouard Nortier, mort sur l’Yser en novembre 1914, mais par son successeur Deloison ; on parvint, non sans peine, à une solution satisfaisante pour la ville.
On dut ensuite se préoccuper de l’aménagement des laboratoires, qui n’étaient pas prêts en 1914. M. Simon aménagea ceux d’histoire naturelle et M. Dixsaut ceux de physique et chimie. Tous peuvent être considérés comme de belles réussites. M. Dixsaut avait installé un petit atelier qui, non seulement fabriqua le matériel du lycée, mais se créa aussi une clientèle parmi les lycées de province. Plus tard, mais au compte de la municipalité, M. Dixsaut tira parti des catacombes sans usage déterminé qui s’étendent sous l’aile Perronet : il y monta des écoles de travail du fer, magnifiquement outillées et, tout de suite, très fréquentées par les élèves du lycée comme par ceux des écoles de la ville.
M. Fleureau, le proviseur des années héroïques, prit sa retraite en 1922 et mourut le mois de son départ, en septembre. Il n’avait qu’entrevu la terre promise : l’année 1923 fut précisément celle qu’aurait mérité de vivre ce bon ouvrier des mauvais jours. D’abord, au concours général, le lycée Pasteur enleva deux premiers prix et six accessits, gagnant ainsi ses galons de grand lycée.
Ensuite, l’Exposition internationale de Strasbourg lui décerna le grand prix dans la section d’hygiène scolaire. Enfin, le 18 octobre eut lieu la cérémonie d’inauguration. M. Janelle qui avait succédé à M. Fleureau, reçut dans la salle des fêtes, achevée pour la circonstance, le ministre de l’Instruction publique, Léon Bérard. Il y avait juste trente ans que l’on avait formé le projet du lycée.
Pour la période d’entre les deux guerres, tant de noms qui ont illustré le lycée devraient être cités que l’on tombe nécessairement dans l’injustice criante. On ne peut omettre les proviseurs de Ribier, Bouchy, Lagorsse, et deux censeurs qui sont presque entrés dans la légende : MM. Bonnet et Toutan… Signalons que nos chaires ont vu passer le romancier Auguste Bailly, le journaliste Chassé, grand connaisseur des poètes et des peintres, Jean-Paul Sartre, Robert Merle, prix Goncourt, Daniel-Rops ; et, encore en activité après la guerre, Émile Thévenot, archéologue des Gaules, Philippe Van Tieghem, le romancier Georges Magnane (Catinaud), le poète Julien Graves (Guitard), le musicologue Marcel Beaufils.
Et puis, il y eut d’autres heures douloureuses et le lycée servit une fois encore d’hôpital, mais dans son aile Borghèse seulement. Le tribut à la guerre a été plus lourd qu’en 1914-1918. Rappelons le grand souvenir de Lackenbacher, tombé devant Amiens, et celui de quelques cinquante élèves et anciens élèves qui n’ont pas craint la mort pour que « l’heure française » continue à sonner. Parmi ces derniers, Jacques Decour, dont le lycée Rollin a pris le nom. Que l’on me pardonne de citer encore, parce qu’ils furent mes élèves et que leur souvenir m’est cher, Dargent, mort stoïquement à Bir-Hakeim ; Cordingle, pilote dans la R.A.F., les frères Claude et Alain Pascalidis, héros des commandos et des parachutistes.
Depuis 1945, une promotion nouvelle a été accordée au lycée Pasteur. Elle est due à M. Saissac, homme de décision et qui a laissé sa marque. Deux classes préparatoires ont été fondées à la rentrée de 1949 : mathématiques supérieures et lettres supérieures, où les jeunes filles ont été admises et où elles sont entrées avec empressement. Voilà un enseignement « mixte » auquel ne pensait guère le rapporteur de 1893 !
Ces classes ont un peu modifié le caractère d’un lycée qui avait gardé de ses lointaines origines un aspect vaguement bocager. « Parure de l’Académie hors les murs », avait dit une autorité à son sujet. Ces temps de quasi-province sont révolus. Les grandes responsabilités qui marquent la fin de l’adolescence ne modifieront pas cependant les caractères que les lieux, les années et les hommes ont profondément imprimés à ce lycée : de cordialité et d’harmonie, de distinction, de dévouement enfin à un idéal de science dont le nom de Pasteur est un grand répondant.
Albert Jourcin, cité par Michel Arondel, « Petite histoire d’un grand lycée », Lycée Pasteur 1914-1989, Neuilly, mai 1989, pp. 5-12.